"C'est très humiliant", m'a confié Adila, une détenue, il y a quelques jours, en se plaignant de la fouille à nu qu'elle devait subir chaque fois qu'elle recevait la visite de sa famille et chaque fois qu'elle était escortée par les gardiens à l'hôpital situé à l'extérieur de la prison.
Cette humiliation subie par Adila n'est pas un cas isolé. Chaque jour, des femmes de différents pays et régions subissent des fouilles corporelles en prison. Cette pratique peut se révéler tellement humiliante que certaines femmes préfèrent ne pas recevoir de visites pour éviter d'être fouillées à nu. Les fouilles corporelles peuvent également affecter les femmes qui rendent visite à leurs proches en prison.
Une question de dignité ou de sécurité ?
Questionner les pratiques de détention est au cœur même du monitoring du traitement et des conditions des personnes privées de liberté. Une simple question telle que "pourquoi cela se produit-il ?" peut être un outil puissant pour empêcher les violations des droits de l'homme de se produire.
Questionner la manière dont les fouilles corporelles sont effectuées en pratique constitue un bon exemple. Lorsqu’elles demandent à la direction et au personnel des prisons pourquoi les fouilles corporelles sont effectuées à certains moments et d'une certaine manière, les institutions de monitoring s’entendent répondre en général qu’il s’agit d’une question de sécurité. Mais les préoccupations de sécurité peuvent-elles toujours justifier le recours à des fouilles corporelles ? La réponse est non. Assurer la sécurité en prison ne peut justifier des pratiques qui portent atteinte à la dignité humaine et à d'autres droits fondamentaux.
La sécurité est une préoccupation réelle et légitime et les Etats ont le devoir incontournable de garantir le bon ordre et la sécurité intérieure dans les lieux de privation de liberté. À cet égard, les fouilles corporelles peuvent constituer des moyens nécessaires et légitimes pour empêcher les personnes détenues d’avoir accès à des objets ou substances dangereux ou interdits, qui peuvent menacer la sécurité du personnel, des autres personnes privées de liberté et des visiteu-r-se-s.
En même temps, lorsqu'ils privent une personne de sa liberté, les Etats ont le devoir de garantir la jouissance de tous les droits fondamentaux qui ne sont pas restreints par la privation de liberté. Le droit à la dignité est inhérent à tous les êtres humains et constitue l'un des droits fondamentaux que les États doivent garantir à tout moment, y compris dans le contexte de la privation de liberté. Comme le réaffirment les Règles Nelson Mandela, "tous les personnes détenues sont traités avec le respect dû à la dignité et à la valeur inhérentes à la personne humaine " (Règle 1).
Si elles sont parfois nécessaires pour des raisons de sécurité, certaines pratiques de détention comportent un risque élevé de discrimination, d'abus et de mauvais traitements, de par leur nature mais aussi pour la manière dont elles sont mises en œuvre.
Les fouilles corporelles font partie de ces pratiques à risque. Elles peuvent prendre différentes formes, notamment la fouille par palpation lorsque la personne fouillée reste habillée, la fouille à nu impliquant la nudité mais sans contact physique, et la fouille invasive ou la fouille des cavités corporelles impliquant un examen physique des orifices corporels.
Dans la mesure où les fouilles corporelles peuvent impliquer la nudité et le contact physique, des circonstances augmentant les possibilités d’abus et d’humiliation, elles représentent des situations à risques. Par leur caractère intrusif et l'atteinte à l'intimité d'une personne, les fouilles corporelles peuvent être particulièrement traumatisantes pour les femmes détenues, mais aussi pour les visiteuses.
Cette situation est exacerbée dans le cas des femmes qui ont subi des violences sexuelles ou d'autres types de traumatismes. En outre, l'intersection entre le genre et d'autres facteurs, tels que l'orientation sexuelle, l'identité et l'expression de genre, la religion, l'ethnicité et la race, peut exposer certaines femmes détenues à un risque accru de discrimination, d'abus et de violence lors des fouilles corporelles.
Les fouilles humiliantes, en particulier les fouilles à nu et les fouilles des cavités corporelles, peuvent même être assimilées à des actes de torture ou à des mauvais traitements lorsqu'elles sont menées pour des motifs discriminatoires et qu'elles entraînent une douleur ou une souffrance aiguë - physique ou mentale.
Un ensemble spécifique de normes internationales
Le recours aux fouilles corporelles doit respecter l'interdiction absolue de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants prévue par le droit international, qui est non seulement inscrite dans de nombreux traités mais également reconnue comme une norme du droit coutumier.
Compte tenu du risque inhérent aux fouilles corporelles, un certain nombre de normes internationales et régionales en matière de droits de l'homme ont inclus des dispositions spécifiques relatives aux fouilles corporelles des personnes privées de liberté. Les Règles de Bangkok de 2010, en particulier, prévoient la protection spécifique des femmes privées de liberté, y compris en ce qui concerne les fouilles corporelles, complétée par les dispositions énoncées dans les Règles Nelson Mandela de 2015.
Les Règles Nelson Mandela (Règle 50) et les Règles de Bangkok (Règle 19) précisent toutes deux que le respect de la dignité de la personne fouillée est la priorité absolue lors des fouilles corporelles dans les lieux de détention. Les normes internationales (Règle 50 de Nelson Mandela) et régionales telles que les Principes et bonnes pratiques pour la protection des personnes privées de liberté dans les Amériques et les Règles pénitentiaires européennes établissent également que les fouilles corporelles ne sont légitimes que si elles respectent les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Cela signifie que le recours aux fouilles corporelles ne devrait pas être systématique, ni une mesure générale appliquée à toute personne détenue, mais répondre à des risques spécifiques. En outre, les normes plus progressives prévoient également l'interdiction des fouilles des cavités corporelles en raison de leur caractère invasif.
En outre, les normes internationales et régionales ont également défini les modalités selon lesquelles les fouilles corporelles doivent être effectuées afin d'atténuer les risques inhérents qu'elles comportent. À cet égard, les Règles de Bangkok 19-21 prévoient que les fouilles corporelles des femmes ne doivent être effectuées que par du personnel féminin ayant reçu une formation adéquate. Il est également très important que les fouilles corporelles soient effectuées dans des conditions sanitaires appropriées et qu'elles soient correctement enregistrées, y compris les raisons des fouilles et l‘identité de la personne fouillée et celles des personnes effectuant la fouille (règle 51 de Nelson Mandela).
En raison de l'impact psychologique et physique négatif des fouilles corporelles, d'autres méthodes alternatives de contrôle, telles que les scanners, devraient être privilégiées pour remplacer les fouilles à nu et les fouilles invasives des femmes (Règle 20 de Bangkok). Lorsque les fouilles corporelles sont inévitables, elles doivent être effectuées en deux étapes (d'abord de la taille vers le haut, puis de la taille vers le bas) pour éviter que la personne ne soit complètement nue.
Comment faire le monitoring des fouilles corporelles en pratique ?
Les institutions de monitoring jouent un rôle crucial dans le contrôle des fouilles corporelles des femmes en prison. Pour soutenir leur travail, l'APT a développé un certain nombre d'outils, dont le document d'analyse récemment publié "Femmes en détention : Fouilles corporelles. Améliorer la protection dans les situations de vulnérabilité" et la base de données Detention Focus.
Pour effectuer un monitoring efficace des fouilles corporelles, les organes de contrôle doivent vérifier si les fouilles corporelles sont réglementées dans les lois, politiques, règlements et procédures nationales, et si elles sont conformes aux normes internationales les plus progressives. Le cas échéant, les institutions de monitoring peuvent proposer des changements et des modifications aux lois et politiques existantes afin de s'assurer qu'elles sont conformes aux normes internationales.
Plus important encore, les institutions de monitoring sont particulièrement bien placées pour contrôler la manière dont les fouilles corporelles sont effectuées en pratique. Même si les lois et les politiques relatives aux fouilles corporelles sont conformes aux normes internationales, leur mise en œuvre peut s’avérer problématique. Il est donc crucial que les informations recueillies par les institutions de monitoring soient vérifiées par différentes sources, un processus connu sous le nom de "triangulation".
Par exemple, le règlement des prisons peut définir clairement les raisons et les modalités d’une fouille corporelle des femmes en prison, conformément aux normes internationales et régionales, mais le personnel pénitentiaire peut ne pas avoir connaissance de ces règlements et/ou ne pas les respecter à la lettre. Il se peut que les fouilles à nu soient utilisées de façon systématique pour toutes les femmes détenues, comme une politique générale, sans évaluation individuelle, ou alors utilisées de manière disproportionnée envers certaines femmes pour des motifs discriminatoires.
La seule façon d'obtenir des informations précises est de vérifier les lois et politiques existantes, de consulter les registres de détention, de vérifier les programmes de formation, de s’entretenir avec les femmes privées de liberté et les visiteu-r-se-s en privé, d'interroger le personnel, d'observer directement l'endroit où les fouilles corporelles sont effectuées, et de vérifier de première main la disponibilité et le fonctionnement des méthodes alternatives de fouilles corporelles, par exemple les scanners et les radiographies.
Les organes de contrôle peuvent ainsi vérifier si les fouilles à nu et les fouilles invasives ne sont utilisées qu'en dernier recours et uniquement lorsqu'elles sont strictement nécessaires. S'appuyer sur différentes sources, en particulier des entretiens avec des femmes privées de liberté et des visiteuses, est essentiel pour comprendre les modalités de recours aux fouilles corporelles et leur impact sur les femmes détenues et les visiteuses.
Là encore, il s'agit de se demander "pourquoi", en s'interrogeant sur les raisons pour lesquelles les fouilles corporelles sont utilisées. Il s'agit également de s'interroger sur le "comment", c'est-à-dire sur les modalités selon lesquelles les fouilles corporelles sont effectuées en pratique. Sur la base de leurs conclusions précises, les institutions de monitoring peuvent formuler des recommandations et contribuer à modifier les lois, les politiques et les pratiques.
Cet article a été publié pour la première fois dans la Newsletter d'ICPA - Numéro 9.