Éléments clés
La perception par le personnel travaillant en prison de la qualité de ses conditions de travail et de la manière dont il est traité par sa direction et ses collègues a des effets importants sur l’atmosphère en détention et sur le traitement des détenu·e·s. Si le personnel se sent valorisé, en confiance et respecté dans son travail, il appliquera beaucoup plus volontiers ces valeurs dans le traitement des détenu·e·s. De bonnes conditions de travail en milieu carcéral sont aussi importantes dans le but d’attirer et de retenir le personnel adéquat.
Les normes internationales sont claires : le personnel pénitentiaire devrait travailler à plein temps avec un statut civil, recevoir un salaire adéquat et des avantages et conditions de service favorables. En réalité, il n’est pas rare que le personnel pénitentiaire ait un faible statut dans la communauté et qu’il reçoive un faible salaire parfois, payé irrégulièrement, ce qui affecte sa motivation et le bon exercice de ses fonctions. Cela peut également favoriser la corruption.
Analyse
Le statut, la rémunération et les bénéfices
Afin d’attirer et de retenir le personnel approprié, le personnel pénitentiaire devrait avoir un statut de fonctionnaire professionnel, et conserver son statut de civil. Il devrait recevoir un salaire et des avantages qui lui permettent, ainsi qu’à sa famille, d’avoir un niveau de vie décent, compte tenu du contexte et des prix locaux. Les salaires devraient être indexés sur ceux des autres emplois similaires de la fonction publique, comme ceux d’agent·e·s de police, d’enseignant·e·s ou d’infirmiers/-ères, et tenir compte de la nature complexe et parfois dangereuse de leur rôle. Leur statut et salaire devraient également conférer aux agents un statut décent dans la communauté qui reflète leur contribution à la société. Le personnel devrait recevoir des informations claires concernant les possibilités de promotion. Les décisions de promotion devraient mettre en avant la compétence (expérience professionnelle, efforts et qualité du travail effectué), et ne devraient pas être automatiques. Des évaluations régulières des résultats devraient aider à développer le plein potentiel des agents.
Le lieu de travail et les transferts
Les prisons sont parfois situées dans des zones isolées, loin des centres urbains, ce qui rend plus difficile l’accès des agent·e·s de détention aux services, tels que les magasins, le médecin, les activités sociales et l’école des enfants. Dans certains contextes, les agent·e·s de détention sont tenu·e·s de vivre dans des bâtiments réservés aux personnels pénitentiaires, et il est alors difficile pour eux/elles et leur famille de mener une vie « normale », sociale et diversifiée. Ils/elles peuvent également être tenus de travailler régulièrement dans différentes prisons, avec toutes les difficultés logistiques que cela implique. Ces circonstances peuvent expliquer le versement de primes supplémentaires, par exemple pour le logement, les déplacements, les soins médicaux et l’éducation des enfants, etc. afin d’éviter que les agent·e·s et leur famille et leurs familles ne connaissent des conditions de vie inéquitables.
Les difficultés et effets du travail en milieu carcéral sur le personnel
Le travail en milieu carcéral peut avoir des conséquences émotionnelles importantes sur le personnel. L’environnement carcéral est punitif et souvent violent, et le personnel peut être confronté à un haut niveau de stress. La surpopulation et un personnel en sous-effectif complique la réalisation de ses fonctions et créé un environnement carcéral peu sûr. Le personnel pénitentiaire est parfois tenu de réaliser beaucoup d’heures supplémentaires et des tours de garde très longs afin de maintenir la sécurité minimale, ce qui peut accroître encore le stress et générer un surmenage précoce. L’environnement de travail physique peut également être très dur, les infrastructures peuvent notamment être mauvaises, manquer d’espace, de lumière et d’aération, manquer d’un système d’égouts et de gestion des déchets, ou présenter d’autres conditions malsaines.
Les services de soutien et de conseil
Les prisons devraient instaurer une politique visant au bien-être des employé·e·s . Cela inclut la mise à disposition de services de soutien indépendants, notamment la consultation de professionnels compétents, avec lesquels le personnel peut parler en toute confiance, s’il le souhaite, de son travail, et des difficultés rencontrées. Il est important pour les prisons de veiller, de manière proactive, à ce que le personnel se sente autorisé à utiliser ce type de services. Par ailleurs il est reconnu que le personnel mixte peut avoir une influence positive sur l’environnement de travail en milieu carcéral, et lui apporter un certain degré de normalité.
Les relations avec la direction
Il est important pour le personnel de se sentir traité avec confiance, légitimité et équité dans la gestion de la prison. Les prisons exigent donc une direction professionnelle, sachant communiquer de manière efficace, ainsi que des processus participatifs de gestion tenant compte de l’opinion du personnel. Dans la réalité, il n’est pas rare que le personnel pénitentiaire ne se sente pas soutenu par la direction, qui est perçue comme un ensemble de bureaucrates ne comprenant pas la nature du travail sur le terrain, ainsi que les risques et les difficultés connexes. Le personnel a le droit d’être représenté par des syndicats, qui peuvent jouer un rôle important dans la défense des intérêts du personnel vis-à-vis de la direction, et dans l’amélioration de ses conditions de travail.
La pression des pairs et l’esprit de corps
Les agent·e·s de détention ont très souvent un fort esprit de corps, ce qui peut favoriser la solidarité. Si cela peut être une source de soutien, cela peut aussi impliquer une pression des pairs pour se conformer à la manière dont les choses sont faites, y compris à l’usage de « la manière forte » avec les détenu·e·s . Les agent·e·s de détention qui ne s’y conformeraient pas pourraient faire l’objet d’intimidation, de harcèlement et d’ostracisme. Les prisons devraient avoir un code d’éthique et des procédures disciplinaires claires appliqués de manière objective et transparente. Cela peut contribuer à développer la confiance du personnel dans l’organisation et la direction, et à prévenir les comportements inappropriés et les abus dans l’institution.
La discrimination au travail
Il ne devrait pas y avoir de discrimination dans le milieu du travail carcéral. Les prisons devraient avoir des règles, politiques et mécanismes clairs permettant de prévenir et de répondre aux attitudes discriminatoires. Les agentes de détention femmes et ceux/celles provenant de groupes minoritaires devraient jouir des mêmes opportunités, soutien professionnel et accès aux promotions et aux formations que les autres. Il convient de préciser que les femmes peuvent assumer le rôle d’agent·e pénitentiaire au même titre que les hommes. Un personnel mixte peut avoir des effets bénéfiques, tant en termes éthiques que pour favoriser un degré de normalité dans la prison.
La politique du personnel
Compte tenu de l’importance des questions relatives au personnel, les prisons devraient avoir une politique explicite figurant dans des documents officiels et portant sur tous les aspects de la sélection, la formation, le statut, les responsabilités de gestion, les conditions de travail et la mobilité du personnel. Elle devrait souligner la nature éthique des prisons et du travail en milieu carcéral, et faire référence aux normes des droits humains. Elle devrait être élaborée en consultation avec le personnel et/ou ses représentant·e·s, et devrait être examinée et révisée régulièrement.
Normes juridiques
Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela)
Règle 74
1. L’administration pénitentiaire doit choisir avec soin le personnel de tout grade, car c’est de l’intégrité, de l’humanité, de l’aptitude personnelle et des capacités professionnelles de ce personnel que dépend la bonne gestion des prisons.
2. L’administration pénitentiaire doit avoir le souci constant d’éveiller et de maintenir dans l’esprit du personnel et de l’opinion publique la conviction que la mission ainsi accomplie est un service social d’une grande importance et doit, pour ce faire, recourir à tous les moyens voulus pour éclairer le public.
3. Pour que les fins précitées puissent être atteintes, les membres du personnel pénitentiaire doivent être employés à plein temps en qualité de professionnels, doivent posséder le statut des fonctionnaires de l’État et bénéficier de ce fait de la sécurité de l’emploi sous réserve de leurs seules bonne conduite, efficacité dans le travail et aptitude physique. Pour que soient recrutés et maintenus en service des hommes et des femmes capables, la rémunération proposée doit être suffisante et les prestations offertes et conditions de service doivent tenir compte de la pénibilité du travail.
Règles pénitentiaires européennes
Règle 79.1
La rémunération doit être suffisante pour permettre de recruter et de conserver un personnel compétent.
Règle 79.2
Les avantages sociaux et les conditions d’emploi doivent être déterminés en tenant compte de la nature astreignante de tout travail effectué dans le cadre d’un service de maintien de l’ordre.
Principes et bonnes pratiques de protection des personnes privées de liberté dans les Amériques
Principe XX – Personnel des lieux de privation de liberté
[…] Le personnel des lieux de privation de liberté est pourvu des ressources et du matériel nécessaires pour pouvoir accomplir son travail dans des conditions adéquates, et perçoit notamment une rémunération juste et appropriée, et bénéficie de conditions dignes en matière de logement et de services de base.
Extrait du 10e rapport général du CPT [CPT/Inf (2000) 13]
Paragraphe 23
Ainsi que le CPT l'a souligné dans son 9e rapport général, un personnel mixte constitue une garantie importante contre les mauvais traitements dans les lieux de détention. La présence d’un personnel masculin et féminin peut avoir des effets bénéfiques tant en termes éthiques que pour favoriser un degré de normalité dans un lieu de détention.
Un personnel mixte permet également un déploiement approprié du personnel lorsque des tâches délicates, comme des fouilles, sont effectuées. A cet égard, le CPT tient à souligner que des personnes privées de liberté ne devraient être fouillées que par du personnel de même sexe et que toute fouille impliquant qu'un détenu se dévête, devrait être effectuée hors de la vue du personnel de surveillance du sexe opposé.
Extrait du 11e rapport général du CPT [CPT/Inf (2001) 16]
Paragraphe 26
[...] Il convient également de noter que, lorsque les effectifs en personnel son inadéquats, un nombre important d'heures supplémentaires peut s'avérer nécessaire afin de maintenir un niveau minimum de sécurité et de programmes d'activités dans l'établissement. Un tel état de choses peut facilement générer un niveau important de stress pour le personnel et un épuisement professionnel précoce, une situation qui risque d'exacerber la tension inhérente à tout environnement carcéral.
Questions pour le monitoring
Quelle est la rémunération des agent·e·s de détention et comment est-elle fixée ? Est-elle conforme aux autres fonctions comparables du service public (par exemple celle de policier/-ère, d’infirmier/-ère ou d’enseignant·e) ?
L’emplacement de la prison, ou les logements du personnel sis à côté de la prison affectent-ils la vie des agent·e·s de détention et de leurs familles (accès aux services, opportunités sociales, etc.) ?
Quels sont les bénéfices offerts aux agent·e·s de détention ? Incluent-ils des primes de vie ou de service (le cas échéant, compte tenu de l’emplacement de la prison, etc.) ?
Les agent·e·s de détention peuvent-ils être affecté·e·s à une autre prison ? Si oui, comment les affectations sont-elles déterminées et tiennent-elles compte de la situation familiale de la personne concernée ?
Quels sont, selon les agent·e·s de détention, les aspects positifs et négatifs de leur travail ?
Quel est le ratio personnel / détenu·e·s dans la prison ?
La prison est-elle en surcapacité d’accueil ? Comment cela affecte-t-il la capacité des agent·e·s à faire leur travail et à développer des relations positives avec les détenus·e·s?
Quels sont les horaires de travail des agent·e·s de détention ? Travaillent-ils/elles par tour ? Leur est-il demandé de faire des heures supplémentaires ? Ces heures sont-elles payées ?
Quelles sont les conditions physiques de travail des agent·e·s de détention ?
La prison a-t-elle une politique visant au bien-être des employé·e·s? Y a-t-il des services de soutien à la disposition des agent·e·s de détention, notamment des psychologues pour les aider à gérer les difficultés en lien avec leur travail ? Les agent·e·s se sentent-ils/elles en mesure d’y faire appel ?
Les agent·e·s sont-ils/elles syndiqué·e·s? Quelle est l’influence des syndicats sur les conditions de travail, les relations avec la direction et l’atmosphère de travail dans la prison ?
Y a-t-il des signes d’un esprit de corps punitif ? Les agent·e·s ressent-ils/elles une pression de la part de leurs collègues pour traiter les détenu·e·s d’une certaine manière ?
Des agent·e·s de détention ont-ils/elles été victimes de discrimination ou d’abus au travail ?
Les employées femmes ont-elles les mêmes rôles, opportunités et salaire/avantages que leurs homologues masculins ?
Y a-t-il des règles, politiques et mécanismes en place pour prévenir les pratiques discriminatoires et y répondre ? Les agent·e·s de détention ont-ils/elles confiance dans ces instruments ?