Le 8 octobre 1991, des membres de la Garde nationale ont arrêté Faysal Baraket, un jeune étudiant de l’Université de Tunis. Quelques jours plus tard, son corps a été retrouvé au bord d’une route. Les autorités ont affirmé que Faysal Baraket avait été tué dans un accident.

Depuis plus de deux décennies, les militants tunisiens des droits humains luttent pour que la vérité soit faite sur la cause de sa mort et que les coupables soient traduits en justice. Ils n’ont jamais renoncé à leur volonté de construire un avenir meilleur pour la Tunisie.

Amnesty International a publié aujourd’hui un rapport détaillé sur ce cas, Tunisie : Quand les ossements livrent leurs secrets. Ce document relate le combat qu’ils mènent afin que les tortionnaires de Faysal Baraket soient traduits en justice. J’ai lu ce rapport alors que je regardais en même temps une émission en direct sur mon ordinateur : l’Assemblée nationale constituante tunisienne se réunit actuellement pour adopter, article par article, la loi portant création d’une Instance nationale pour la prévention de la torture.

Vingt deux ans après la mort de Faysal Baraket des suites de tortures, la Tunisie est en passe de devenir le premier État dans le monde arabe à créer une institution chargée de prévenir la torture conformément au Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture, l’OPCAT. La Tunisie a ratifié ce traité de prévention de la torture peu après le renversement de l’ancien président Ben Ali.

Je suis les débats de l’Assemblée sur la création de ce mécanisme de prévention de la torture depuis mon bureau à l’APT situé dans le nouveau Centre Jean-Jacques Gautier. L’année dernière, j’avais montré à Khaled Ben M’Barek le chantier de construction du nouveau siège de notre organisation. Il se souvenait fort bien de notre bonne vieille « Cabane ». C’est ici qu’il avait travaillé, en 1994, toute une nuit sur l’unique ordinateur de l’APT, pour préparer une communication sur le cas de Faysal Baraket à l’intention du Comité des Nations unies contre la torture.

Il a fallu attendre cinq ans et beaucoup de persévérance de la part des militants tunisiens et des ONG internationales – notamment Amnesty International, l’OMCT, l’APT et d’autres membres de la Coalition des ONG internationales contre la torture (CINAT) - pour obtenir que le Comité contre la torture se décide enfin à demander, en 1999, à la Tunisie d’exhumer le corps de Faysal Baraket et de déterminer la cause de son décès.

Il a fallu encore 14 ans et une révolution avant que cette décision ne soit finalement mise en œuvre en mars 2013. Tout au long de ces années, Abdelwahab Hani, un autre ami de Faysal Baraket, nous a rendu régulièrement visite en nous exhortant à continuer à travailler sur ce cas. La persévérance des amis de Faysal Baraket a contribué à façonner la pratique et la jurisprudence du Comité contre la torture.

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A Tunis, Najib Hosni prend la parole. Najib Hosni est devenu membre du conseil consultatif de l’APT alors qu’il était détenu en Tunisie pour avoir exercé sa profession d’avocat. Maintenant, il propose des amendements pour renforcer la mise en œuvre dans son pays du traité relatif à la prévention de la torture (OPCAT). J’ai rencontré Najib Hosni pour la première fois  lors d’une réunion sur la prévention de la torture dans les États répressifs. Je ne me souviens pas du résultat de cette rencontre, mais je ne pense pas que nous ayons alors trouvé de solution pour mener des actions de prévention dans les pays gouvernés par la répression et la peur de la torture. Mais lorsque, des années plus tard, j’ai rencontré à nouveau Najib Hosni, il m’a fait visiter l’Assemblée nationale constituante chargée de rédiger les bases juridiques d’une Tunisie démocratique.

La transition vers la démocratie est difficile. Les sièges de l’Assemblée nationale constituante sont en partie vides. L’opposition boycotte l’Assemblée depuis l’assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi. Je reçois une mise à jour d’Abdelwahab Hani : un membre du Parlement demande que, vu l’importance du projet, les travaux sur la loi portant création d’une Instance nationale pour la prévention de la torture soient suspendus jusqu’à ce que les membres de l’opposition acceptent de revenir siéger.

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Il commence à faire sombre à Genève en ce 8 octobre 2013. Je regarde la photo de Faysal Baraket dans le rapport d’Amnesty. Ceux qui l’ont assassiné n’ont toujours pas été traduits en justice. La loi ne sera probablement pas adoptée aujourd’hui et nous ne savons pas ce qui adviendra demain. Mais il y a une chose dont je suis certaine : les amis de Faysal n’abandonneront jamais le combat.
 

 

Photo : Amnesty International

Blog Tuesday, October 8, 2013