Ce blog est un extrait édité d'un entretien avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le mécanisme national de prévention de France, au sujet de son avis du 25 mai 2021 sur la prise en charge des personnes transgenres dans les lieux de privation de liberté.
Les personnes transgenres privées de liberté sont confrontées à un risque constant de violence, de discrimination et d'abus. En France, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a abordé la question des droits des transgenres en prison dans un avis publié au Journal Officiel en 2010. Cependant, au fil des années il est apparu qu’il était nécessaire de publier un nouvel avis sur ce sujet pour plusieurs raisons: la situation dans les lieux de détention ne s’est guère améliorée, la terminologie a évolué et il y a eu de nouvelles lois sur la reconnaissance du genre en France.
Certains des problèmes rencontrés par les personnes transgenres se situent à l'intersection de plusieurs problèmes structurels irrésolus dans les lieux de privation de liberté, tels que, entre autres, l'équilibre entre la sécurité et la dignité, l'isolement des personnes en situation de vulnérabilité, ainsi que les questions de diversité, de mixité et de sexualité, ou encore la prévention du suicide.
Le 25 mai 2021, nous avons publié un nouvel avis sur la prise en charge des personnes transgenres privées de liberté. Il est important de noter que l’avis de 2010 portait uniquement sur les personnes trans incarcérées. Lors de la préparation du nouvel avis, il est apparu utile d’étendre la réflexion à tous les lieux de privation de liberté mais aussi d’inclure l’expérience des personnes intersexes et non-binaires.
L’avis est le résultat d'un processus complet qui comprend l’examen des courriers reçus de personnes transgenres privées de liberté depuis 2010. Il s’appuie également sur des rencontres avec des associations travaillant avec des personnes transgenres incarcérées, des informations collectées auprès des autorités en charge de ces lieux et des associations, ainsi que sur des échanges avec des expert-e-s européens, notamment le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) et l’APT. En outre, nous avons consulté la documentation nationale et internationale pertinentes et effectué cinq visites consacrées exclusivement à ce sujet, menées par deux contrôleurs, dans différentes régions et différents types d’établissements en France.
Nos recherches ont révélé un manque de données sur le nombre de personnes concernées, sur les lieux où elles sont enfermées, et sur leurs besoins spécifiques au sein de ces lieux, et enfin un manque de formation du personnel pour répondre à ces besoins et soins spécifiques. En outre, il y a peu de consignes au niveau national et la loi de 2016 qui a dépathologisé la reconnaissance de l’identité transgenre n’a pas été déclinée à la privation de liberté. Ainsi, bien que les personnes ne soient plus obligées de subir une réassignation de genre pour obtenir un changement de sexe dans leur état civil, ce changement de paradigme ne s'est pas traduit par des directives réglementaires ou législatives. Face à cette absence de données et de consignes, on a observé que les professionnels manquaient de ressources et se trouvaient démuni-e-s pour appréhender cette question.
Le principe directeur du nouvel avis a été de rappeler que l'identité transgenre est une question d'autodétermination. Notre principale recommandation est que les autorités détentrices devraient toujours demander aux personnes ce dont elles ont besoin et répondre à ces besoins, dans la mesure du possible. Sur la base de ce principe directeur, l'avis se concentre sur les trois types de transition : sociale, juridique et médicale.
Transition sociale : respecter l'identité de genre
La transition sociale consiste à s'adresser aux personnes selon le pronom et le nom qu'elles ont choisis. Ces préférences doivent être respectées dans la pratique. Une autre question importante est celle des fouilles corporelles, en prison et pendant la garde à vue. Nous recommandons que les personnes puissent choisir le genre de l'agent-e qui les fouille. De même, en ce qui concerne l'affectation, nos recommandations sont que les personnes doivent être interrogées sur le quartier dans lequel elles souhaitent être affecté-es. En plus, les personnes ne devraient pas être placées à l'isolement au motif de leur identité transgenre. Nous émettons également de fortes réserves ’quant aux quartiers uniquement dédiés à l’hébergement de personnes transgenres, tout en réaffirmant évidemment que si les personnes souhaitent être placées dans un quartier qui accueillent majoritairement des personnes qui sont en situation de vulnérabilité, il faut donner une suite favorable à leur demande. ’’’Nous abordons également la question de la violence et de la sexualité reproductive, qui ne doivent pas être utilisées pour isoler les personnes ou les surprotéger au détriment de leur vie sociale. Enfin, nous soutenons l'accès d'une personne transgenre à tous les objets et vêtements autorisés en détention, indépendamment de son sexe choisi ou d’état civil.
Transition juridique : accompagner les personnes qui souhaitent modifier leur état civil
En France, la loi a assoupli les critères pour obtenir un changement de prénom et de sexe à l'état civil. Cependant, dans la pratique, des obstacles subsistent. Certaines personnes sont exclues de ce type de démarches, de droit (comme les étrangers) ou de fait (par exemple, elles sont dans l’incapacité d'effectuer des démarches administratives). De plus, les services censés les aider’ à faire ces démarches ne sont parfois pas informés de la nouvelle loi ou n'ont pas été formés à cet effet. Nos recommandations portent notamment sur la formation des officiers d’état civil et des magistrat-e-s, ainsi que sur la nécessité d'une coopération accrue entre les lieux de privation de liberté et les associations LGBTI+.
Transition médicale : garantir une prise en charge sanitaire adaptée
Les personnes transgenres privées de liberté peuvent rencontrer des difficultés à poursuivre leur hormonothérapie ou à recevoir des soins postopératoires si elles ont commencé leur transition médicale avant d'entrer dans un lieu de privation de liberté. Nous recommandons ’ que les traitements soient continus et ininterrompus. Nous avons également constaté qu'il est extrêmement difficile pour une personne de mener à bien une transition médicale complète quand elle débute en détention. Nous recommandons que de telles transitions soient possibles. Enfin, nous recommandons de manière très générale que si les autorités détentrices ne sont pas en mesure de respecter l'identité de genre d'une personne et d'assurer sa sécurité physique et psychologique, ou si une personne n'est pas en mesure de poursuivre ou d'entamer une transition médicale, il faut que se mette en place une alternative à la privation de liberté.
Depuis la publication de l'avis en mai 2021, nous avons constaté plusieurs résultats positifs. Les associations et les personnes concernées se sont senties écoutées et reconnues. L’avis est utilisé par les associations dans leur collaboration avec les administrations, les autorités locales et nationales, et même parfois devant les juridictions. Nous avons transmis l'avis aux directeurs locaux, ainsi qu'aux ministres de la justice, de la santé et de l'intérieur, ce qui nous a permis de contribuer à leurs réflexions sur la mise en œuvre des mesures nécessaires. Même si les effets ne sont pas immédiatement visibles au niveau local, nous espérons que cet avis accélérera la mise en œuvre de mesures visant à faire respecter les droits des personnes transgenres privées de liberté.
Sur le plan interne, l'avis nous a fourni un outil plus solide pour promouvoir et protéger les droits des personnes transgenres privées de liberté. Il aborde les défis posés par la nouvelle législation et les nouvelles exigences, ce qui nous permet de répondre de manière plus adéquate et d'intégrer ces questions dans nos rapports. Nos travaux étant transmis aux autorités locales, nous sommes mieux à même de promouvoir des changements dans leurs pratiques et de les encourager à envisager des options alternatives