Il y a 15 ans, un traité international ambitieux et novateur sur la prévention de la torture - le Protocole Facultatif à la Convention des Nations Unies contre la Torture (OPCAT) - est entré en vigueur, après sa ratification par 20 États.
Sa principale réalisation, intégrée dans l'architecture du traité, est la création d'un système de prévention fondé sur le contrôle régulier de tous les lieux de détention par des organes nationaux indépendants - les mécanismes nationaux de prévention (MNP) - et un organe international d'expert·e·s (le Sous-Comité de la Prévention de la Torture ou SPT).
Le SPT est désormais le plus grand organe de traité des Nations Unies, composé de 25 expert·e·s. C'est aussi l'un des plus pratiques, puisqu'il effectue des visites dans les lieux de détention et engage un dialogue avec les autorités pour s'attaquer aux causes profondes de la torture et des mauvais traitements.
Les 15 dernières années nous ont également appris que les MNP sont la pierre angulaire du système de prévention de la torture. Ce sont eux qui ont le potentiel de provoquer un véritable changement au niveau national - et qui le font.
Beaucoup a été accompli au niveau national et international au cours des 15 dernières années. Alors que nous marquons cette étape importante pour l'OPCAT, il est opportun de réfléchir à ce qui a été réalisé jusqu'à présent et à la manière dont nous pouvons continuer à construire un monde sans torture.
Réflexion 1: La prévention est une réalité mondiale
L'OPCAT compte actuellement 90 États parties, dont 74 ont mis en œuvre le traité au niveau national en créant des MNP. En d'autres termes, environ la moitié des pays du monde ont rejoint le système de prévention de la torture. La moitié des pays du monde ont choisi d'investir dans des stratégies de prévention de la torture et d'ouvrir leurs lieux de détention à un contrôle externe. Le passage du secret à la transparence est désormais une réalité.
Pendant la pandémie, les équipes de monitoring de la détention ont été considérées dans de nombreux pays comme des " travailleurs nécessaires ". Si la plupart des MNP ont dû adapter leur monitoring ou suspendre temporairement leur travail (comme le montre notre récente enquête sur la façon dont les MNP se sont adaptés pendant COVID-19), ils ont continué à démontrer leur valeur ajoutée. La transparence des lieux de détention est désormais davantage la norme que l'exception. Il s'agit là d'une grande réussite du système de l'OPCAT.
Réflexion 2: Grâce au dialogue et à des solutions pratiques, nous pouvons obtenir des changements.
Le dialogue constructif est au cœur de l'OPCAT, qui établit une " relation triangulaire " entre l'État, les MNP et le SPT. Bien que parfois difficile et frustrant pour beaucoup, nous savons que le dialogue est à la base d'un changement durable. Au cours des 15 dernières années, les MNP ont contribué à des changements significatifs dans la législation, les politiques et les pratiques de détention.
Les MNP sont les principaux moteurs du changement dans toutes les régions du monde. Les exemples de leur impact sont nombreux. À la suite de la publication d'un rapport sur le recours à l'isolement dans les prisons norvégiennes - basé sur cinq années de monitoring par les MNP dans 19 prisons - une audience parlementaire publique a été organisée en 2021 pour discuter des conclusions et des recommandations du rapport. Cela faisait suite à des années de critiques internationales sur les pratiques de la Norvège en matière d'isolement cellulaire. Au Costa Rica, le MNP a contribué à un changement législatif, en présentant un projet de loi visant à ajouter un nouvel article au Code pénal afin que la définition de la torture soit en conformité avec les normes internationales. Au Paraguay, le MNP a utilisé son rapport annuel 2019 pour ouvrir un dialogue avec les autorités sur la réduction de la population carcérale du pays.
Réflexion 3: La prévention de la torture fonctionne, même dans des environnements difficiles, si l'innovation et la résilience sont au rendez-vous.
Décrits comme étant en " première ligne de la prévention de la torture " par l'ancien Président du SPT, Sir Malcolm Evans, les MNP ont constamment démontré que, grâce au dialogue et aux recommandations pratiques, le changement est possible. Ils ont également développé de nouvelles méthodes de travail pendant la pandémie afin d'assurer un monitoring continu des lieux de détention. Ces établissements sont devenus l'épicentre de l’épidémie de la COVID-19 dans les pays. Le rôle des MNP a été crucial pour préserver la santé et la sécurité des personnes détenues dans les lieux de détention et du personnel qui y travaille. En fait, le SPT a indiqué que " les relations entre les MNP et les autorités nationales se sont considérablement améliorées dans certains pays, car ils ont travaillé ensemble pour résoudre les problèmes d'accès ". Nous avons capturé le courage, l'innovation et la résilience des MNP dans notre série de vidéos, Voix du terrain.
Réflexion 4: La prévention ne peut être considérée comme acquise
Malgré le nombre croissant de MNP créés dans le monde, ces avancées ne peuvent être considérées comme acquises. Ces dernières années, certains MNP ont été attaqués, par la remise en question de leur raison d'être, par une diminution de leur budget ou encore par des tentatives de révision de leur législation fondatrice. Nous avons vu de telles situations au Brésil, en Arménie et dans d'autres pays du monde. Nous sommes attachés aux principes d'indépendance, d'autonomie et de transparence promus par l'OPCAT et continuerons à soutenir les MNP lorsqu'ils sont confrontés à des menaces et des représailles.
Réflexion 5: La prévention requiert une approche inclusive
La privation de liberté a un impact différencié sur ceux qui en font l'expérience. Cela a été particulièrement vrai pendant la pandémie. Les femmes, les enfants, les personnes âgées, les personnes LGBTI et les populations autochtones, entre autres groupes, ont besoin d'un soutien spécifique et de réponses qui respectent leur dignité. La prévention de la torture nécessite une approche inclusive et les MNP jouent un rôle de premier plan pour mettre en évidence les moyens efficaces de travailler avec différents groupes de personnes privées de liberté et de faire respecter leurs droits. En décembre 2020, 16 MNP d'Amérique latine ont publié une contribution conjointe à la Cour Interaméricaine des Droits Humains sur les mesures pratiques visant à promouvoir la sécurité et la dignité des personnes LGBTI privées de liberté. Cette année, pour marquer la Journée internationale de la femme, 42 MNP se sont unis, pour la première fois, pour appeler à une meilleure protection des femmes en détention et à un recours accru aux alternatives à la détention. Et la semaine dernière, plus de 30 MNP de la région de l'OSCE se sont réunis pour échanger leurs points de vue sur le monitoring de la situation des personnes âgées en détention, en particulier dans les maisons de retraite.
Point à retenir 6 : Ensemble, nous sommes plus forts
Si la pandémie a contraint bon nombre d'entre nous à s'isoler, elle nous a également incités à travailler ensemble et à échanger plus régulièrement. L'année dernière, les MNP de toutes les régions ont collaboré les uns avec les autres sur des questions de fond et des questions pratiques. À l'APT, nous sommes fiers d'avoir facilité certains de ces échanges et d'offrir une plateforme pour renforcer ces relations entre pairs. Nous savons que la prévention passe par la collaboration. Il s'agit d'une responsabilité partagée où de nombreuses parties prenantes ont un rôle à jouer, depuis les juges et les procureur·e·s jusqu'aux autorités sanitaires et pénitentiaires. Au niveau national, les MNP ont démontré leur capacité à promouvoir le dialogue et à jeter des ponts entre un groupe d'acteurs divers pour trouver un terrain d'entente.
Réflexion 7: Promouvoir de nouveaux moyens de prévenir la torture
Au cours des 15 dernières années, le système mondial de prévention de la torture a pris racine dans toutes les régions du monde. Il a acquis une légitimité et une crédibilité, fondées sur les résultats de leur travail de monitoring de tous les lieux de détention. Nous savons que c'est au cours des premières heures de détention que les personnes sont le plus exposées au risque de torture et de mauvais traitements. C'est également le moment le plus difficile pour exercer un contrôle. Néanmoins, de nombreux MNP ont commencé à monitorer dans quelle mesure les garanties de détention sont mises en œuvre dans la pratique en garde à vue. Ils ont commencé à constituer un aperçu des pratiques actuelles et à identifier les mesures permettant de réduire l'écart entre la loi et la pratique. Avec la publication récente des Principes Internationaux concernant les Entretiens Efficaces, les MNP disposent d'un outil supplémentaire pour soutenir la police dans son travail et prévenir la torture et la coercition au cours des enquêtes. Ils pourront s'appuyer sur la légitimité et la crédibilité qu'ils ont acquises pour promouvoir la mise en œuvre des Principes. Et puis, dans 15 ans, nous regarderons en arrière et verrons tout ce qui a été accompli grâce à leur courage, leur cohérence et leur dialogue collaboratif.